L'oeuvre de Max Laurent compte plus de 400 tableaux et gouaches. Ce site n'a pas la prétention d'en exposer la totalité. Une sélection arbitraire avait été faite par Max Laurent, deux ans avant sa disparition. C'est pourquoi la chronologie présentée ici s'arrête en 2004. Un choix de 30 tableaux pour raconter les périodes décisives de sa peinture, et illustrer comment la forme circulaire des débuts, devenue "germinations" par la suite, a cherché et trouvé hors cadre cet horizon bombé, qui est progressivement descendu à la lisière du tableau, pour presque disparaître, avant de dessiner et creuser dans les dernières toiles une ligne de matière dans la matière...
François Tomsu
La peinture de Max Laurent n'est ni divertissante, ni décorative; elle est d'abord âpre, aride et surtout réflexive. Elle demande aux spectateurs l'effort d'y entrer. Par là, le peintre se met hors des modes, des courants, des écoles. Par ses planètes dans leurs courses, ses terres à fertiliser, il nous plonge dans un instant de l'univers, nous donne à sentir le premier âge de l'Homme: la minéralité en mutation, en mouvement.
Ses huiles forment deux groupes: "les Germinations" et "les Sphères". Comme venues d'un sol concret, compact (la pâte, par son épaisseur, relance pour notre regard la présence du réel), les "Germinations", comme des pousses, on pourrait écrire des poussées, dardent leurs pétales, leurs rayons, leurs formes encore informes, en appel de vie.. telles des mains ouvertes, des poings fermés qui donnent et demandent soleil et vérité.
"Les Sphères", comme échappées de ces Germinations, s'élèvent, planètes minérales, palpitantes pour porter la lumière à l'obscurité, pour confronter la masse à l'éther.
Si dans ses gouaches, l'artiste poursuit les mêmes thèmes, mettant face à face le massif et l'aérien, il retrouve ici, par les matières mêmes, (le papier, la gouache) la légèreté et le geste, nous découvrant le peintre en travail. Max Laurent peint la contradiction en donnant aux spectateurs la liberté de ne pas répondre.
A côté de ces planètes inconnues, vierges, de ces germinations nouvelle-nées, les Céramiques, par des scènes, des fragments de vie, nous ramènent à notre terre, ici et maintenant, dans un présent nostalgique.
C'est ce clochard, la nuit, dormant dans une rue froide auprès duquel, nous, noctambules fatigués, apeurés, pressés, passons sans y prendre garde; c'est cette chambre d'hôpital comme vue à la dérobée, où médecins et malades, vautrés dans leurs fonctions en deviennent grotesques; c'est ce vieillard donnant la main à cet enfant, et leurs regards émerveillés l'un pour l'autre.
Max Laurent possède cette qualité qui fait l'artiste véritable: une écoute/regard aïgue et tendre du quotidien où pourtant l'œil critique reste caressant. Ces incidents mineurs qui nous ont émus une seconde, pour les oublier celle d'après, Max Laurent les a cueillis comme il a saisi notre émotion fugitive. Il nous les restitue avec ce léger sourire complice qui, là aussi, nous met en position contradictoire du voyeur ému et du vu émouvant.
Par ses peintures, ses céramiques, Max Laurent nous donne à voir l'impensable : l'émotion devenue matière.
Gervais Robin
"Les difficultés de Cézanne sont celles du premier mot. Il se considérait comme un incapable, parce qu'il n'était pas tout-puissant, parce qu'il n'était pas Dieu et qu'il voulait cependant peindre le monde, le transformer en un instant, rendre visible la manière dont il nous touche directement."
Maurice Merleau-Ponty, Le doute de Cézanne, 19421
Le monde de la peinture
Considérer une œuvre, cela ne peut signifier que se rapprocher de l'art. Derrière lui se cache un défi permanent. Notre incapacité à l'appréhender dans sa totalité prouve combien son patrimoine empirique est immense. Contempler une œuvre d'art représente une opportunité d'enrichir sa vie.
À la fin du xxe siècle, la complexité de l'œuvre d'art se traduit par une multitude de caractéristiques individuelles, peuplant l'horizon artistique telles des "îlots imagés
flottant librement", pour reprendre l'expression de Jean-Christophe Ammann. Les nombreuses tentatives de catégorisation de l'art n'ont conduit qu'à rendre plus criant encore le fait qu'une œuvre peut être perçue de diverses manières. L'œuvre d'art contemporain possède son identité propre. Elle est autonome, inétiquetable et refuse tout rattachement à un mouvement préexistant, ce qui conduit souvent à ce qu'on lui reproche son absence d'orientation. Mais ces caractéristiques ne représenteraient-elles pas une chance? La chance unique de porter un regard vierge sur l'œuvre d'art, de se laisser aller à la contempler, simplement, en s'émancipant de toute approche systématique, académique.
Les tableaux de Max Laurent s'inscrivent dans cette démarche. Ce peintre solitaire évolue hors des sentiers battus. Il ne se revendique d'aucun groupe. Son travail ne peut être assimilé à aucun mouvement collectif contemporain. Sans se soucier des modes, il se saisit de son pinceau, mélange ses peintures à l'huile à base de pigments colorés et peint sur des toiles tendues. Il travaille dans la plus pure tradition classique mais son coup de pinceau a le dynamisme de celui d'un expressionniste. Cette description pourrait faire croire que son travail ne s'inscrit pas dans son temps, qu'il lui manque une dimension, un recul, une réflexion sur son époque. Il est vrai que les œuvres de Max Laurent ne sont jamais l'écho d'événements extérieurs, encore moins autobiographiques. Sa peinture oscille entre les deux courants auxquels le xxe siècle a donné naissance, selon Werner Haftmann : !'art abstrait et l'art figuratif. L'observateur n'a d'autre repère que l'œuvre elle-même. L'ambition de Max Laurent rejoint celle de Cézanne qui aspirait à peindre "ce qui n'est pas encore peint", pour le transformer "en peinture absolue". Cette conception de la peinture ne tend pas à déposséder la nature de son rôle de modèle. Elle veut représenter un univers fondamental dans lequel perception et expérience jouent sur un pied d'égalité. Conscient qu'il s'agit d'une "tâche infinie", l'artiste entend "exprimer ce
qui existe".
Max Laurent poursuit cet objectif depuis le début des années soixante-dix. Sur ses toiles, de grand format pour certaines, les coups de pinceau énergiques métamorphosent les épaisses applications de peinture en formes animées, qui semblent se trouver in statu nascendi. La peinture dans son état originel. Il paraît impossible de réfréner son processus de création tant celui-ci est explosif, volcanique. Les lignes organiques décrivent des cercles, s'élèvent telles des flammes, pivotent sur leur axe, se condensent pour faire naître des soleils, des comètes, des fleurs monumentales, des formes tempétueuses que l'on cherchera en vain dans la nature. La peinture est son propre motif. Les œuvres de Max Laurent ne comportent ni titre, ni référence au lieu de leur création. L'espace créé par les formes colorées se confond avec celui de la peinture. La toile représente le Ici et le Maintenant de son art. L'espace et le temps, tels que nous les entendons, disparaissent dans ces peintures qui se gardent de donner une quelconque indication pouvant nous permettre de raccrocher l'œuvre à un contexte, à un courant. La peinture existe dans le tableau, par le tableau. L'absence de traits linéaires pour souligner les contours des formes accentue le caractère fugitif, mouvant de la peinture de Max Laurent. Les lignes dynamiques les resserrent, les transforment en figures dissipées qui, parfois, viennent faire "éclater" les bords du tableau. Les peintures de Max Laurent ne sont pas plus définitives que l'on peut penser un jour mettre un terme à l'art. Perpétuellement en quête de quelque chose, le peintre veut toujours percer un peu plus loin le mystère de l'art. Maurice Merleau-Ponty observe que "le peintre se soucie précisément de ce qui rend visible ce qui, sans lui, resterait enfermé dans son essence propre: la vibration des apparitions, berceau de toute chose. Ce peintre n'est touché que par une seule chose: le caractère étrange des choses; il ne connaît qu'un seul sentiment: celui de l'existence sans cesse renouvelée."
De 1978 à 1982, l'œuvre de Max Laurent se fait plus dense, son coup de pinceau plus prononcé. On songe parfois au pointillisme. Des petites taches de couleur juxtaposées ou superposées, naissent des boules çompactes que l'artiste aime désigner comme ses "sphères", et qui recouvrent parfois toute la surface de la toile. Ces tableaux restent, eux aussi, sans titre. Le terme sphère ne suggère, par association, qu'une analogie cosmique. En réalité, ses tableaux ne représentent pas plus de quelconques phénomènes optiques de la stratosphère que ses premières œuvres un motif floral. Contrairement à ses travaux plus anciens, dans lesquels ses débordements d'énergie se traduisaient par une explosion des formes, les sphères font converger les énergies vers leur centre. Les forces sont canalisées, intériorisées, les applications de couleur ne se perdent pas dans des gestes amples et se bornent à faire entrer la plus petite entité énergétique, le point, en vibration. Ces minuscules taches de couleur se rassemblent à leur tour et se transcendent en une forme sphérique supérieure, dont la surface semble respirer. Cet effet est renforcé par la couleur qui illumine la forme. On remarque qu'une fois encore, celle¬ci n'est pas ceinte par un contour marqué, continu, et que ce procédé permet, malgré la densité compacte de la forme, de donner vie à la matière. Pourtant ces toiles aux évocations cosmogoniques, avec leurs couleurs, leurs formes équilibrées, mais limitatives et domestiquées, ne semblent pas satisfaire entièrement l'artiste.
Après cette période assez brève des sphères, il en revient rapidement, au début des années quatre-vingt, à ses coups de pinceau dynamiques, et intègre sa peinture dans un horizon qui lui donne une assise solide. Il applique de plus en plus souvent les couleurs en plusieurs couches épaisses qui se mélangent sur la toile dans des teintes chaudes, couleur de terre, qui absorbent la lumière. Ses tableaux ont besoin d'une source de lumière extérieure pour "germer" - une métaphore que Max Laurent affectionne pour décrire ses travaux -, pour que leur sensualité nous apparaisse, et que se manifeste leur surface crevassée grâce à un savant jeu d'ombres et de lumières. La "germination" - entendez la libération et la transformation de l'énergie¬ rappelle le processus, souvent douloureux, de la création picturale. Couche après couche, la masse de peinture se fraie un chemin à la surface du tableau. Plus la palette se rapproche des teintes terreuses - avec des gris, des bruns -, plus la puissance de la facture et la densité de la matière deviennent troublantes. Max Laurent ambitionne de réaliser une peinture expressive, absolue, et de définir ses limites, à la fois créatives et psychiques. La peinture spontanée semble être la voie la plus susceptible de donner à son art toute sa dimension. Pas besoin de croquis, l'artiste ne pratique pas le dessin...
Parallèlement à ses huiles, il réalise en revanche des gouaches, dont la spontanéité rappelle celle de ses toiles. Même spontanéité, même gestuelle, ces gouaches retracent pas à pas et de manière saisissante l'œuvre du peintre. Ses travaux se caractérisent par leur rigueur, son refus du compromis. S'il recourt à des métaphores comme "sphères" ou "germes", ses toiles ne tombent jamais dans l'anecdote; le sujet reste toujours la peinture. Au début des années quatre-vingt-dix, Max Laurent aborde une nouvelle phase dans son travail, en privilégiant rigueur et clarté au détriment de l'expressivité de son coup de pinceau. On ne trouve plus guère de formes, nées d'un unique coup de pinceau théâtral. Ses œuvres plus récentes sont de surface régulière et souvent réalisées à partir d'une palette monochrome, qui renforce leur caractère méditatif. Contrairement à la peinture du "ail over", dans laquelle la disposition traditionnelle du tableau est abandonnée au profit d'une approche polyfocale, celle de Max Laurent s'attache aux notions de haut et de bas. On trouve très souvent des lignes d'horizon qui structurent le tableau et permettent à l'observateur de percevoir ses trois dimensions. Dans ses œuvres monochromes, cette ligne d'horizon structure également l'espace, les tableaux et focalise l'attention. Généralement placée dans le tiers inférieur du tableau, elle crée une zone de repos visuel. Dans ses œuvres récentes, la toile semble être au cœur d'un réseau dense de lignes de forces. Une peinture qui n'a certainement pas fini d'évoluer, mais qui - comme dans les phases plus anciennes du travail de Max Laurent - touche le nerf de sa propre existence.
Dr. Beate WOLF
Staats Gallery - Stuttgart (2000)
Pour toute information concernant l'oeuvre de Max Laurent, merci de nous envoyer un mail à l'adresse :
contact@max-laurent.com
Création du site image-virtuelle.com